Lectrices, lecteurs, nous y sommes ! Les mille cent quarante-deux courriels et deux virgule sept tonnes de lettres — les habitudes ont la vie dure — que nous avons reçues ces derniers mois ont été accueillies et lues avec attention par la rédaction. Nous avons sélectionné quelques questions parmi les plus récurrentes pour que l’équipe de Sainte-Ormelune y réponde. Puissiez-vous en faire une profitable lecture.
Mesdames, messieurs, bonsoir. Lecteur assidu de la Gazette de Minuit depuis 1973, je me décide enfin à vous écrire sur le conseil de ma petite-fille. Nous nous demandons si le fait de mettre les gens en garde contre des pratiques douteuses et minoritaires — comme le fameux Mirror Challenge — dans vos articles ne risque pas au contraire de les rendre plus populaires ? Loin de moi l’idée d’être donneur de leçons, mais je ne vous apprendrai en effet pas qu’à Sainte-Ormelune, le goût du risque est un trait héréditaire. Chaleureusement vôtre.
Melchior, 87 ans
Monsieur,
C’est là une excellente question qui parlera, je n’en doute pas, à tous nos confrères journalistes qui vous liront. Voyez-vous, les gens de notre profession font un pari sur l’humanité. Il est plausible, sinon fréquent, qu’alerter l’opinion publique sur un danger incite quelques-uns de ses éléments les moins futés à se hasarder au plus près dudit danger pour… eh bien, vivre au mieux leur goût du risque, du moins le supposons-nous.
Mais en informant ainsi les gens, nous pensons aussi que la majorité d’entre eux sauront manier les connaissances que nous leur prodiguons avec assez de discernement pour étendre leur durée de vie au lieu de l’écourter brusquement. Les statistiques nous confortent en ce sens. Voilà le pari que nous continuons de relever chaque jour en écrivant pour vous, nos chers lecteurs, ces articles de presse.
Cordialement.
Bonjour à tous. Je voulais vous demander pourquoi les rédacteurs ne signent jamais les articles ? Merci à vous et bonne continuation.
Gabriel, 16 ans
Bonjour Gabriel !
En effet, comme tu l’as très justement observé, les auteurs des articles et des pages du journal ne sont jamais mentionnés. Il y a à cela deux raisons.
La première relève de la liberté d’expression ; c’est-à-dire que nos rédacteurs ne s’exprimeraient pas aussi librement qu’à l’ordinaire s’ils devaient signer chaque article de leurs nom et prénom. Par exemple, certains de nos lecteurs ont reproché au créateur de l’article relatif à la menace Yell0cean d’avoir pris un sujet sérieux avec trop de légèreté. Pour lui épargner de recevoir une myriade de messages courroucés, nous lui imposons de ne pas indiquer son identité. « Dans ce cas, pourquoi ne pas utiliser un pseudonyme », te demandes-tu ? Eh bien, pour ne pas faire croire à nos lecteurs qu’il s’agit de sa véritable identité. Élémentaire !
Mais il y a aussi une seconde raison. Autrefois, jusqu’au milieu des années 80, nos journalistes avaient pour habitude de signer leurs écrits de leurs nom et prénom. Et puis un jour, l’un d’entre eux, un chroniqueur dont les articles figuraient parmi les plus populaires, a commencé à susciter un engouement aussi inattendu qu’inexpliqué. Il recevait du courrier, beaucoup de courrier, qui le couvrait de louanges, multipliait les questions sur sa vie privée, l’invitait à des entretiens avec d’autres journaux, le priait de paraître à des émissions télévisées, le suppliait de traiter tel sujet de telle façon, etc. Naturellement, on lui faisait des offres mirobolantes et on l’inondait de lettres amoureuses par quintaux. Et cela ne lui déplaisait pas.
Alors, puisqu’il était désormais une célébrité, ce chroniqueur s’est mis à devenir de moins en moins soucieux de son éthique et de plus en plus gourmand vis-à-vis de l’attention et du salaire auquel il pouvait prétendre. Que de conflits ont éclaté à l’époque dans nos locaux, minés par les jalousies et soupçons de favoritisme ! Ils furent d’ailleurs la cause du départ de plusieurs sommités, tel que celui du vice-directeur, et menacèrent jusqu’à l’existence de la Gazette de Minuit. Finalement, c’est ce journaliste au succès grandiose qui démissionna pour lancer sa propre société de publication, où nombre de ses adorateurs le suivirent pieusement pour engloutir ses pamphlets abscons et soi-disant « prophétiques ». Nous ne rentrerons pas dans les détails, mais ça ne s’est pas bien fini.
Voilà pourquoi, Gabriel, nous préférons la sérénité de l’anonymat aux grandes pompes de la célébrité.
Cordialement.
Bonjour à vous. Je n’arrive pas à me mettre d’accord avec mon compagnon alors je vous demande : l’article dans lequel vous interviewez un chat est un faux, rassurez-moi ? Cordialement.
Anne-Claire, 33 ans
Chère Madame,
Ce chat, que nous avons trouvé et interrogé le 24 juin dernier dans l’espoir de comprendre les évènements troubles entourant l’affaire Beaucarne, s’est bel et bien adressé à notre journaliste dans un français d’excellente qualité, bien que difficilement compréhensible par endroit. Si les cordes vocales des chats ne sont ordinairement pas capables d’émettre des sons semblables aux nôtres, celui-ci semble avoir trouvé le moyen de se faire comprendre.
Nous avons toutefois de solides raisons de penser que rien de cela ne se serait produit s’il n’avait pas été « aidé » par une force extérieure. En outre, aucune nouvelle preuve d’une communication réussie entre un félidé et un être humain n’a été constatée depuis. Nous restons vigilants à l’égard toute nouvelle incongruité de ce type.
Cordialement.
Enchanté. Alors voilà, j’ai réussi à trouver sur Google, en cherchant un peu, un catalogue en ligne avec des formules pour invoquer des succubes adolescentes. J’en ai trouvé une pas mal, rousse, pas trop grande, des petits seins, assez mignonne. C’est écrit qu’elle a 12 600 ans, donc normalement, pas de problème avec la loi. Par contre, un ami m’a prévenu que les succubes sont dangereuses et qu’elle pourrait voler mon âme ou me déposséder de mon fluide vital. C’est vrai ou pas ? Merci par avance.
Ernest, 42 ans
Cher Ernest,
D’abord, souvenez-vous que les succubes se manifestent uniquement aux êtres humains lorsqu’ils sont inconscients et ne laissent de leur passage qu’une poignée d’images et de sons confus. Et encore, si vous êtes chanceux. Si vous ne l’êtes pas, ce sera un cauchemar en bonne et due forme ponctué d’une paralysie du sommeil qu’une amnésie viendra conclure. Un entraînement préalable et rigoureux à la remémoration de rêves est indispensable pour profiter au mieux de l’expérience.
Ensuite, renseignez-vous sur la qualité de la succube. Chacune inspire un ensemble de songes bien définis par leur caractère : voyage au Japon, fêtes d’anniversaires, immeubles abandonnés, soirée au cinéma, prouesse aux Jeux olympiques, maisons de retraite, et ainsi de suite. Faites attention à ce détail ! Vous n’avez probablement pas envie de vous lever le matin après avoir rêvé d’une nuit torride avec votre arrière-grand-mère. Par précaution, disposez près de votre lit des objets — des arômes surtout — qui influenceront favorablement la succube pour qu’elle vous guide vers un espace que vous affectionnez. Par exemple, de l’essence de pommes de pins pour une forêt de résineux ou un extrait de barbe à papa pour une fête foraine.
Ce qui nous amène à la question des « fluides vitaux ». Si je passe sur le fait que votre ami et vous ne parlez de toute évidence pas des mêmes liquides, soyez rassuré quant au poncif de la succube dépouillant sa proie de sa virilité ou de son âme, il n’a rien d’authentique. C’est une superstition médiévale. Par contre, des crises cardiaques ont été observées chez les consommateurs réguliers de succubes. Aussi, soyez prudents !
Cordialement.
Salut salut ! Très chouette idée, cette rubrique « Courrier des lecteurs ». J’y participe en espérant que ma question sera sélectionnée. La voici : depuis que je suis tout petit, je ressens un profond sentiment de nostalgie quand je marche dans une forêt ou un champ, plus particulièrement quand je suis seul. Ça me le fait souvent en été, quand je pars avec mes parents et ma sœur dans le Sud. Idem si je passe en voiture à côté de très beaux paysages dans la brume ou la neige, par exemple la départementale de Sainte-Ormelune en plein hiver. Il y a toujours quelque chose que je trouve beau et triste dans la nature, mais c’est vraiment inexplicable. Je ne comprends pas ce que c’est. J’ai cherché sur Internet, dans le dictionnaire et même à la bibliothèque, mais je n’ai rien trouvé. J’espère que vous pourrez m’aider. Super boulot que vous faites en tout cas, tous mes applaudissements à la rédaction !
Thomas, 18 ans
Salut Thomas,
Tes compliments nous vont droit au cœur. Ce mot si rare et précieux que tu cherches, serait-ce la « saudade » ? C’est un terme portugais qui désigne un état de mélancolie et d’espérance, qui ne possède — hélas ! — pas encore son pendant en français. La cause et la raison d’être de ce sentiment sont, à l’heure actuelle, tout à fait inconnues. Personnellement, comme beaucoup d’autres ici, je ne l’ai jamais expérimenté. Il nous plairait beaucoup de le découvrir…
Tu seras étonné d’apprendre qu’il existe un ouvrage capable de t’aider, l’Encyclopédie des maladies imaginaires. Contrairement à ce que son titre suggère, ce livre ne traite pas des pathologies fictives, mais seulement de celles qui ont un lien avec l’activité mentale, comme l’évocation d’images et d’émotions peu communes. La saudade pourrait bien y figurer. La première mauvaise nouvelle, c’est que le volume n’a jamais été édité et n’existe qu’à l’état de manuscrit. La seconde, c’est que l’on a perdu sa trace vers 1913. Il figurait dans le fonds de la Bibliothèque nationale de France, mais n’a jamais été retourné à la suite de son unique emprunt connu. Quelle joie si nous parvenions à remettre un jour la main dessus !
Nous serions curieux, Thomas, de connaître ton expérience plus en détail. Si jamais tu souhaites en témoigner, n’hésite pas à nous contacter.
Cordialement.
Humains, prenez garde. Je m’apprête à envahir votre monde pour dévorer son cœur, abattre ses institutions, supplanter ses lois, écraser vos maisons comme des foyers de termites, annihiler les fondations de votre [abrégé par souci de concision] puis vous saisir entre mes doigts et presser délicatement vos enveloppes rachitiques jusqu’à ce que vos yeux s’arrachent de leurs orbites comme des orbes de cristal et que votre crâne enfle et éclate ainsi que [abrégé] corps décomposés flottant dans l’abîme du cosmos [abrégé] pour mieux engloutir la chaleur abjecte de votre pathétique étoile [abrégé] en jeter les résidus à ma descendance qui reprendra ses droits dans l’univers au nom du Tout-Anathème. Bien à vous.
Anonyme, 1 300 000 ans
Bonjour,
Pour toute proposition d’invasion et destruction de la terre ou de ses occupants, je vous recommande de vous inscrire sur le site www.ma-fin-du-monde.fr et de soumettre votre idée de fin du monde à la communauté afin que sa probabilité et son esthétique y soient jugées. Vous me semblez bien parti, et il y a beaucoup de prix à gagner, surtout si la vôtre se réalise, alors surtout n’hésitez pas. Que dis-je : foncez !
Cordialement.
Bjr, je vous écris parce que j’ai retrouvé le cadavre de mon chat hier soir derrière la cabane au fond du jardin. Il était en train d’être mangé par des rats. Le hic, c’est que dans mon encyclopédie, c’est écrit que les chats gagnent toujours leur combat contre les rats. Alors, pourquoi le mien a perdu ? Cdlt.
Céline, 53 ans
Chère Céline,
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les chats sont de médiocres chasseurs de souris et de très mauvais chasseurs de rats, surtout s’ils sont bien nourris. Les rats, en particulier, sont des proies trop grosses pour eux. Ils en ont peur. Mettez-vous à leur place. Oseriez-vous attraper un rat sauvage à mains nues ? Vous craindrez sans doute sa morsure. Eh bien, c’est aussi le cas du chat domestique. Comme tous les prédateurs, il aime les proies faciles : stupides et sans défense. Or, le rat n’est ni l’un ni l’autre.
Pour vous dire la vérité, nous avons pensé à un canular quand nous avons vu les photos que vous avez jointes à ce message. D’après celles-ci, votre animal est vraisemblablement décédé des suites d’une blessure à l’échine et à la tête qui présente des similarités troublantes avec la morsure d’un requin juvénile. Si vous êtes certaine que votre animal n’a jamais quitté la terre ferme, nous vous recommandons d’appeler en toute urgence un expert — par exemple, un naturaliste du Centre d’observation de la faune ormelunienne, tous se déplacent à domicile — et de garder verrouillées à double tour les portes de votre maison le jour comme la nuit. À plus forte raison si vous avez des enfants ou d’autres animaux domestiques.
Cordialement.
Bonsoir,
Depuis un moment déjà, je ressentais le Besoin de remercier la rédaction de Sainte-Ormelune de l’Aide qu’elle nous apporte dans les situations quotidiennes Urgentes en nous évitant quantité de déboires et Risques, tout en étant capable de nous faire Mourir de rire. Vos sujets font la part belle aux Hommes autant qu’aux femmes, tout est nuancé et Gris. Une sacrée chance pour moi, qui suis Bloquée — à cause d’une jambe cassée — à mon Domicile en faisant le ménage de ma cheminée. Appelez ça de l’exagération, vous êtes maintenant l’unique Secours de mes journées pour qu’elles passent plus Rapidement.
Maria, 38 ans
Maria,
Sachez que la lecture de votre Message nous a fait vraiment plaisir et a Reçu toute la considération de l’équipe, dont le Secours ne cessera jamais de vous épater, soyez Prévenue !
Salutations. Lecteur occasionnel de votre journal, j’ai toujours émis quelques réserves, moins vis-à-vis des sujets traités qu’à l’égard du style littéraire des auteurs de la Gazette. J’entends pas là qu’il m’est parfois difficile de passer d’une enquête policière crûment racontée aux tribulations désopilantes d’internautes en herbe. On ne sait plus quelle ligne de lecture adopter. Aussi, pourquoi publier conjointement des articles dont le contenu est aussi hétéroclite ? Nous risquons de ne plus vous prendre au sérieux, que diable ! Question subsidiaire : lorsque vous interrogez des personnes, comment choisissez-vous les témoignages que vous publiez et ceux que vous ne publiez pas ?
Jean-Pierre, 45 ans
Bonjour Jean-Pierre,
Riche question que vous nous posez là. En tant que journalistes, notre rôle est de collecter, traiter et diffuser l’information. Ladite information doit être authentique, pertinente et respectueuse de son sujet autant que de ses lecteurs. Ces trois critères validés, elle ne fait l’objet d’aucune forme de censure, à moins qu’une partie ne s’estime lésée lors de la parution et ne fasse valoir un éventuel droit de modification a posteriori.
Le fait qu’un article soit perçu comme « drôle », « vulgaire » ou « sérieux » par le comité de relecture de la rédaction n’influence que peu sa parution. En effet, de telles impressions sont largement subjectives : un thanatopracteur et une maîtresse d’école ne réagiront pas de la même façon à la description, mettons, d’un cadavre d’enfant. Vous serez d’ailleurs amusé d’apprendre que notre article sur cette société secrète de cannibales à Paris a été mal reçu par notre lectorat. Pour les uns, il était trop cru. Pour les autres, il ne l’était pas assez.
Votre seconde question se prête parfaitement à la réponse de la première : pourquoi publier conjointement des articles qui font rire et d’autres qui font pleurer ? Parce que la réalité se compose de sujets qui nous amusent et de sujets qui nous attristent, tout simplement. Les témoignages que nous recueillons auprès de la population ne sont retenus que s’ils éclaircissent la compréhension de notre sujet. Et si nos interlocuteurs font des boutades ? Et s’ils disent des gros mots ? Et s’ils ont l’accent de la vieille France rurale ? Nous nous en accommodons. En tant que journalistes, notre mission consiste à décrire le monde tel qu’il est, non pas tel que nous le voulons.
Cordialement.
Un grand bonjour à toute l’équipe, je voulais savoir si des membres du Club S.I.D.A. ont été aperçus à Sainte-Ormelune ? Votre article sur le sujet — excellent, soit dit en passant — n’évoque que d’autres villes de France, comme Nantes ou Rennes. Faut-il en conclure que nous sommes à l’abri de ces arnacœurs ? Bien cordialement.
Jérôme, 29 ans
Monsieur,
Nous pensions encore très récemment que cette organisation ne sévissait pas à Sainte-Ormelune, mais un appel passé au commissariat municipal nous a appris que des lycéens et étudiants de notre petite ville ont été victimes de manœuvres semblables à celles ayant agité les plus grandes villes de France. Ces tentatives de recrutement sont d’ailleurs d’autant plus inquiétantes que des mineurs ont cette fois été sollicités à au moins deux reprises par de probables membres du Club S.I.D.A.
Vous savez peut-être que le phénomène est pris très à cœur par la municipalité et que des rencontres avec des infirmiers et gendarmes ont été organisées dans les établissements éducatifs pour sensibiliser les jeunes à la question. Nous espérons que cela portera un coup dur aux manigances de ces mystificateurs, pour rester courtois et ne pas employer un autre mot qu’ils n’auraient, somme toute, pas volé.
Cordialement.
Pourquoi Lucille Fauve n’a-t-elle pas remporté la majorité des scrutins lors du Tournoi des Sibylles ? Sa performance était objectivement la meilleure… De plus en plus de gens racontent que son affiliation à l’A.E.L. fait peur à la mairie et au ministère. Pourtant, tout ce qui relève des croyances personnelles n’est pas supposé influencer les votes… Cela ne suffit-il pas à invalider les élections ?
Ophélie, 27 ans
Bonjour,
Mme Fauve, à l’image de toutes les participantes, a été jugée par les électeurs sur ses talents rhétoriques et artistiques ainsi que ses qualités morales. S’il n’est pas impossible que son appartenance à l’A.E.L. ait joué en sa défaveur auprès de certains Ormeluniens, l’élection s’est accomplie dans les règles et ne l’a pas désignée comme vainqueuse. Le choix des habitants a d’ailleurs été approuvé par une large majorité de touristes et résidents saisonniers de Sainte-Ormelune, d’après notre sondage.
Rappelons que Sasha Petit jouit d’une notoriété exceptionnelle pour avoir sauvé la vie d’un enfant avalé par un morqual, le 16 septembre 2021, tandis qu’elle rentrait de l’école. De toutes les prétendantes au titre de Sibylle de Sainte-Ormelune, elle était la seule à pouvoir se glorifier d’un tel exploit, dont elle a naturellement récolté le fruit. S’il est vrai que les électeurs sont invités à juger les seules performances dont les candidates font la démonstration le jour du Tournoi, rien n’interdit ni n’empêche à qui que ce soit d’élire une personne pour une belle action passée que vous saurez aussi, nous n’en doutons point, apprécier à sa juste valeur.
Cordialement.
Bonjour, bonsoir. Je profite de cet entretien avec nos rédacteurs préférés pour poser la question qui fâche : quelles relations entretient la Gazette de Minuit avec le Ministère des Ombres ? Merci par avance.
Nathan, 31 ans
Salut Nathan,
Si nous te disions que le Ministère n’intervient jamais dans notre travail, que nos articles ne sont jamais censurés et que nous sommes 100 % indépendants, est-ce que tu nous croirais ? Non ? Eh bien, tu as raison, car ce n’est effectivement pas le cas. Le rôle que joue cette institution mystérieuse est souvent mal compris et alimente beaucoup de spéculations. Faisons donc la lumière dessus.
Comme tu l’as appris à l’école, le Ministère des Ombres, des Noctambules et de la Vie outre-ciel — couramment abrégé « Ministère des Ombres » — est créé en 1966 sous Charles de Gaulle, alors président de la République française. L’objectif de cette institution est double : garder la main mise de l’État sur les ressources du Val des Sylphes et assurer la sécurité de ses habitants au sein de cet environnement hostile (quoiqu’il l’est moins au XXIe qu’au XIXe siècle). L’institution, à l’image d’un ministère régulier, prend ses quartiers dans un hôtel particulier — la Résidence des trois cèdres — et se dote d’une bureaucratie dont l’efficacité était proverbiale…
Crois-le ou non, de tous les journaux ormeluniens, c’est avec la Gazette de Minuit que le Ministère a le mieux composé. Le prestige de notre vieux journal nous indiquait comme un porte-parole de choix pour les « Ministériens », comme nous aimons à les appeler. En contrepartie, l’État français s’engageait à soutenir financièrement la Gazette pendant les périodes de vaches maigres. Un « pacte avec le Diable » qui ne fit pas l’unanimité au sein de la rédaction à l’époque, jalouse de son indépendance. Rappelons que le taux d’accidents et de décès prématurés à Sainte-Ormelune était encore très élevé jusque dans les années 80 et le Ministère, craignant le mécontentement populaire, commanda la réécriture et la censure d’un certain nombre d’articles, ce qui aboutit notamment au scandale de l’affaire Devon et aux accords des Cratères en 1981.
Aujourd’hui, malgré quelques sujets de friction, la Gazette et le Ministère sont en assez bons termes. L’État français, se rendant compte de l’impact contre-productif de la désinformation, a progressivement appris à lâcher du lest. Sais-tu que la réponse que nous fournissons aujourd’hui à ta question, Nathan, a été passée au crible de la commission médiatique du Ministère ? Eh oui, c’est ainsi. Cependant, nous savons que notre réponse te parviendra intacte, et à la virgule près, car le seul ennemi plus redoutable pour une démocratie que la contradiction, c’est bien l’absence de contradiction.
Cordialement.